ÉTATS DE CONSCIENCE
« LES ÉTATS CRÉATIFS » PERMETTENT DE DÉVELOPPER LES TALENTS ET DE PRÉSERVER LA SANTÉ
L’un des traits les plus fondamentaux d’un être humain, c’est ce profond désir de comprendre. L’intelligence — ce formidable outil d’adaptation — a permis à l’être humain de survivre, de se développer, et de conquérir la Terre. Au fil de l’évolution, l’intellect a remplacé les crocs, la fourrure, les griffes. Il est devenu notre principale force.
Dans notre civilisation, l’homme s’identifie avant tout à sa conscience, à sa capacité de penser, d’analyser, de connaître le monde. Cependant, à côté de la vénération de l’intellect, s’est développée une autre attitude, exprimée dans une phrase bien connu depuis des millénaires :
« Car avec beaucoup de sagesse vient beaucoup de chagrin, et celui qui accroît sa connaissance accroît sa douleur », (Ecclésiaste 1:18).
La psychologie a bien étudié cette forme de pensée, en l’utilisant pour expliquer les motivations et évaluer les comportements humains. Elle l’utilise pour comprendre les motivations humaines, pour construire des tests de QI, en imaginant notre psyché comme une sorte de biocomputeur.
Mais il existe une autre forme de conscience, encore peu explorée. Une conscience qui permet à l’homme de s’adapter plus efficacement à un monde en perpétuel changement, de le transformer et de se développer lui-même. Je décris ici de ce que on peut appeler la conscience créative. Elle est polymorphe, éphémère, difficile à décrire, mais chacun de nous l’a ressentie.
Elle peut être perçue comme quelque chose de « supérieur », de « différent ». Les poètes la chantent sous le nom d’« inspiration », comme s’il s’agissait d’une force étrangère qui vient quand elle veut et repart sans prévenir.
Cette conscience créative est parfois associée à ce que l’on nomme les « états modifiés de conscience », généralement considérés comme un écart au fonctionnement mental « normal ». Pourtant, ces états nous sont tous familiers. Ils peuvent surgir, par exemple lors d’un souvenir du passé, à la lecture d’un roman, à l’instant du passage entre veille et sommeil. Ils peuvent être induits par une activité monotone ou par un effort physique et psychique intense.
Ce sont des états qui ne touchent pas seulement l’intellect : ils s’expriment dans les comportements, les émotions, activent l’imagination et se manifestent dans notre corps. Ils s’expriment de façon éloquente dans la transe, un état accompagné de manifestations diverses, parfois paradoxales. L’individu peut, par exemple, perdre toute sensibilité, voir ses pensées s’accélérer, son attention se concentrer, ressentir une fraîcheur émotionnelle inédite… ou à l’inverse, observer une baisse de ses fonctions cognitives. La perception du temps et de l’espace peut être altérée, un sentiment d’unité de l’univers peut surgir, un effacement des frontières entre passé, futur et présent. Les émotions peuvent s’entrelacer avec des mots, des idées, des souvenirs ; la temporalité se mêler à la géographie…
Beaucoup de ces états paradoxaux sont, depuis toujours, considérés comme des états créatifs, porteurs de renouveau. On en retrouve des mentions dans les contes, les mythes, les textes religieux et les pratiques spirituelles. Leur transmission de génération en génération témoigne de leur importance pour l’humanité. Aujourd’hui encore, la foi ne s’embarrasse pas des contradictions logiques entre la Résurrection et l’Ascension du Christ. De même, le poète peut toujours mêler dans une seule métaphore le goût d’une fraise, le bleu du ciel et un regard échangé dans la rue.
De nos jours, la transe thérapeutique est utilisée avec succès en hypnose. Ceux qui ont vécu la perte soudaine d’un proche, la dépression chronique ou l’épuisement professionnel connaissent de l’intérieur ce qu’est une transe négative. Et parfois, sans même nous en rendre compte, nous sommes « hypnotisés » — par un vendeur trop enthousiaste, par une publicité, ou même par nos propres peurs… Mais heureusement, il y a aussi les états créatifs, les transes bénéfiques. Un spectacle qui nous touche, une œuvre d’art, une musique… et voilà qu’on retrouve notre élan, notre lucidité, notre envie d’agir consciemment…
Ces états créatifs et porteurs de ressources permettent de contourner les habitudes figées, d’opérer une relecture du vécu, et surtout de rester en contact avec la réalité — condition essentielle pour développer activement ses capacités et préserver sa santé. L’utilisation de ces états de conscience constitue pour moi un appui précieux, tant dans ma pratique artistique personnelle que dans mon activité de psychologue.

L’émotion, est une certaine façon d’appréhender le monde et de sa transformation.
— Jean-Paul Sartre