UN REGARD EXTÉRIEUR

TOUTE IMAGE VIT À TRAVERS UN DOUBLE MOUVEMENT. ELLE NAIT DU REGARD DE CELUI QUI LA CRÉE. UNE FOIS OFFERTE AU MONDE, ELLE ENTAME UN NOUVEAU VOYAGE : LE REGARD DE CELUI QUI LA REGARDE

La photographie et l’image vidéo se distinguent fondamentalement des autres formes de représentation visuelle. Le dessin, la peinture ou la sculpture reproduisent le réel avec une part inévitable de convention, si réalistes qu’elles puissent paraître. Tandis que la photographie et la vidéo semblent saisir la réalité de façon impartiale, et la restituer telle qu’elle est. D’un côté, elles portent la trace documentaire du monde visible ; de l’autre, elles expriment un regard singulier sur celui-ci, autrement dit, une interprétation. Comme l’a si justement dit le photographe Ansel Adams : « Le composant le plus important de l’appareil photo se trouve derrière lui. » Certes, toute prise de vue implique ainsi un regard sélectif de celui qui photographie, mais aussi de celui qui regarde la photographie, observe et donne sens à l’image.

Avez-vous déjà songé qu’une nature morte – image d’objets inanimés – pouvait devenir, en un sens, « votre portrait » ? Partons ensemble pour un voyage photographique intérieur. Il suffit de regarder autour de soi et de choisir, pour construire sa nature morte, des objets qui nous définissent, qui nous sont chers, qui nous plaisent ou évoquent des souvenirs précieux. Pour l’un, ce sera un coquillage ramassé sur une plage durant les dernières vacances romantiques, un flacon de parfum favori ou un livre adoré. Pour un autre, un trophée de chasse, un globe-bar élégant ou un jeu d’échecs sculpté dans un bois rare. Jouez avec la lumière : baignez vos objets de soleil ou, à l’inverse, plongez-les dans une pénombre dramatique. Prenez la photo, puis observez le résultat. Cela vous plaît-il ? Êtes-vous satisfait du cadrage initial, de la luminosité, du choix des objets ? Qu’est-ce qui, dans cette image, parle de vous ? Comment vos émotions ont-elles évolué, que ressentiez-vous, à quoi pensiez-vous, au moment de la sélection de ces objets, lorsque vous les photographiez, puis lorsque vous avez contemplé le résultat ? Ici, peu importe la valeur artistique de l’image. Ce qui compte, c’est que vous avez entamé un processus de découverte de vous-même.

Si vous souhaitez approfondir l’expérience, au lieu de composer une scène, essayez plutôt de repérer une image déjà présente autour de vous. Peut-être une poupée oubliée sur un banc, une canette écrasée, un couple s’embrassant à l’abri d’un regard… Quel écho personnel provoque cette scène capturée ? Difficile à exprimer ? Vous êtes déjà sur la voie du second niveau de la connaissance de soi. Discuter de votre création avec un psychologue peut alors vous aider à mieux comprendre votre monde intérieur et à formuler, avec plus de justesse, vos ressentis émotionnels.

Au-delà de l’analyse de vos propres clichés avec un psychologue, il existe une autre approche : celle où le psychologue devient à son tour créateur d’images, réalisant des photographies ou des vidéos dans lesquelles vous apparaissez. Notre propre image nous surprend souvent, tant notre perception intérieure diffère parfois profondément de ce que le monde extérieur perçoit. Lorsque je réalise ces prises de vue, je ne cherche pas à poser un diagnostic, ni à procéder à une quelconque évaluation selon des théories ou des concepts psychologiques. L’image devient simplement un outil, un support permettant à la personne représentée d’entrer dans un processus créatif de connaissance de soi.

Après une première étape de mise en lumière du monde intérieur de la personne et de ses liens avec le réel, peut venir alors une phase de transformation de la situation. Les moyens pour y parvenir sont multiples et individualisés. On peut, par exemple, réaliser une série de photographies représentant différentes postures, expressions, regards et attitudes corporelles, symbolisant trois états successifs : la problématique, les moyens de la surmonter, et enfin l’atteinte de l’objectif désiré. Ces images, ou ces séquences filmées, deviennent alors une base symbolique pour mettre en œuvre un travail de déconstruction des ressentis personnels, permettant une intégration consciente des émotions, des pensées et des croyances, en vue de reconstruire une nouvelle vision du monde – et de soi-même. Cette phase dépasse le cadre du simple dialogue : elle peut inclure l’usage actif de représentations, de techniques méditatives ou psychocorporelles, fondées sur la relaxation et les états de conscience modifiés.


« Tout portrait peint avec amour est, en réalité, le portrait du peintre lui-même, et non celui du modèle. »

— Oscar Wilde

 « Je peins des autoportraits parce que je suis si souvent seule, parce que je suis la personne que je connais le mieux. »

Frida Kahlo

« Le portraitiste fait asseoir son modèle pour le peindre, il se prépare, l’observe attentivement. Pourquoi agit-il ainsi ? Parce qu’il sait, par expérience, que l’homme n’est pas toujours semblable à lui-même, et il cherche donc « l’idée essentielle de sa physionomie », ce moment où le sujet se révèle véritablement. C’est dans l’art de saisir cet instant que réside le talent du portraitiste. »

— F. M. Dostoïevski