LA VOCATION DE L’ÊTRE HUMAIN
LE DÉVELOPPEMENT DE LA CRÉATIVITÉ – LA VOCATION EXISTENTIELLE DE L’ÊTRE HUMAIN
Au cœur de la fresque de Raphaël, l’École d’Athènes, se tiennent côte à côte deux figures emblématiques de la pensée : Platon et Aristote. Platon, aux cheveux blancs, pointe le doigt vers le ciel, tandis que le jeune Aristote tend la main vers la terre. Par ces deux gestes succincts, le peintre a exprimé deux manières d’être et d’appréhender le monde. En simplifiant on pourrait dire qu’Aristote incarne une méthode empirique de connaissance : comprendre le monde par l’expérience directe. Le doigt levé vers le ciel de Platon indique quant à lui l’importance de la connaissance philosophique préalable, car dans le cas contraire une quête de vérité peut mener à des erreurs et à de fausses conclusions. Il ne s’agit pas là d’une opposition, mais d’un dialogue de visions complémentaires, une métaphore lumineuse de la dualité inhérente à l’être humain et à toute quête de savoir.
Le réel est fuyant, mouvant, insaisissable. La conscience humaine s’efforce d’en saisir les contours, mais jamais ne se satisfait d’un savoir figé. Chaque compréhension engendre une soif de connaissance plus étendue, plus profonde, chaque connaissance dévoilée nous confronte à de nouvelles questions. Les sciences, malgré leurs progrès impressionnants, demeurent fragmentées, parfois même contradictoires. Leur quête de savoir rappelle celle des mystiques tentant de nommer l’Innommable, le Divin : une tentative infinie de cerner l’origine de toute chose, une soif d’absolu qu’aucune théorie ne peut étancher. En effet, la pensée dite « scientifique », qui poursuit un idéal de connaissance objective, est animée au fond par un même désir : découvrir la cause première, ultime.
Un désir noble, mais inassouvi, qui conduit à reconnaître les limites de volonté d’un savoir exhaustif. Toute action concrète, tout choix, repose inévitablement sur une simplification, une réduction du possible. Toute pratique humaine ne peut intégrer l’ensemble des théories et hypothèses existantes qui sont parfois contradictoires, voire incompatibles. Dans les faits, la complexité du réel est ramenée à quelques idées clés, à des actions précises.
Les théories se concurrencent, les interprétations des résultats issus de l’expérience divergent. Ainsi, confronter la Réalité demande un certain courage intellectuel, l’acceptation de notre vulnérabilité, une humilité devant l’inconnu et la lucidité de comprendre qu’aucune réponse ne saurait être définitive.
D’autre part, la psyché humaine est infiniment complexe, comme l’exprime si bien l’aphorisme de la Renaissance de Pic de la Mirandole :
« L’homme est un médiateur entre l’éternité immuable et le temps mouvant ».
L’élan irrépressible de la pensée et de l’imagination appartient autant à notre nature que le raisonnement froid. En lui coexistent les pulsions inconscientes, les aspirations conscientes et les contraintes du corps. Cette richesse intérieure est, à mes yeux, admirable en soi. Elle est magnifiquement mise en lumière par les grandes œuvres d’art, qui recréent des mondes intérieurs singuliers, des états d’âme et des expériences subjectives aussi essentielles, pour chacun, que les faits eux-mêmes.
Dans toute activité humaine, il est cependant nécessaire de disposer d’une « optique philosophique » qui guide l’action. Pour moi, cette optique s’incarne dans le développement de la créativité.
Trop souvent cantonnée aux domaines artistiques ou inventifs, la créativité est en réalité une modalité de l’existence, un art de vivre et de penser. Elle ne dépend pas de la profession, mais de la manière d’habiter le monde. Un ingénieur, un artisan, un gestionnaire, une mère au foyer – tous, chaque jour, sont appelés à inventer, à improviser, à faire preuve de créativité. Même l’intelligence artificielle, malgré ses capacités de calcul et de simulation, reste incapable de ce saut créatif fondé sur la subjectivité et la décision humaine.
La créativité, loin d’être un don réservé à quelques génies, est simplement un état suprême de l’adaptation humaine à son plus haut degré. Elle est inscrite en chacun de nous, comme un germe qu’il nous appartient de cultiver.
Dans une époque où les machines et les programmes prennent en charge les tâches répétitives, la créativité apparaît comme la vocation fondamentale de l’homme. Elle permet de faire face à l’inconnu, de sortir des cadres rigides, de trouver des solutions inédites, de préserver notre santé mentale et physique, et surtout — de nous accomplir comme êtres singuliers.
C’est cette capacité de création consciente qui distingue l’humain du reste du vivant. Les autres espèces font preuve d’une ingéniosité remarquable pour survivre ; l’homme, lui, aspire à bien plus : à donner un sens à sa vie, à incarner des valeurs, à participer à une œuvre existentielle qui le relie à d’autres êtres humains. L’efficacité, le succès ou le confort matériel ne suffisent pas : c’est la manière d’interagir avec le monde qui façonne notre bien-être psychologique.
Toute activité consciente — qu’elle relève de la vie personnelle ou de la vie privée — peut devenir source de plaisir esthétique lorsqu’elle est exécutée avec maîtrise. Toute relation humaine ouvre un espace d’accomplissement personnel si elle repose sur l’acceptation, l’empathie et la justice. Ainsi, même les manifestations les plus ordinaires de la vie prennent une dimension artistique, devenant l’expression la plus élevée de la créativité humaine.
Il en a toujours été ainsi, au fil des siècles, malgré les évolutions de pensée, les goûts changeants, les modes passagères. Cette conscience a nourri notre civilisation depuis ses origines, et a longtemps été perçue comme une forme de bénédiction spirituelle, ce qui métaphoriquement exprime cette parole fondatrice :
« Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance ».
Depuis les origines, l’humanité a incarné son potentiel créatif à travers des formes multiples : religion, rituels traditionnels, philosophie, arts, management, yoga, hypnose, théâtre, littérature… Toutes ces voies, si diverses soient-elles, sont le trésor de savoirs et d’expériences accumulés par des générations en quête de la meilleure façon de vivre. Cela représente pour moi une source d’inspiration inépuisable, la voie vers une compréhension de l’être humain.
